La procession dansante d'Echternach est connue au-delà des frontières du Grand-Duché du Luxembourg. Elle apparaît, entre autres, dans de nombreuses légendes, productions littéraires, films et illustrations. Événement touristique, souvent attribué au folklore national, la procession dansante fait venir, annuellement, des milliers de pèlerins, de participants et de spectateurs. L'œuvre saint Willibrord (Willibrordus Bauverein) estime que la procession dansante réunit, ces dernières années, environ 20.000 personnes dont la moitié seraient des spectateurs. En 2008 est inauguré le centre de documentation sur la procession dansante dans la basilique d'Echternach. Depuis 2010, la procession dansante d'Echternach est inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
Tous les mardis de la Pentecôte, la procession dansante d’Echternach rassemble des pèlerins venant des régions environnantes, c’est-à-dire du Luxembourg, d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et de France. Réunissant jusqu'au milieu du 20e siècle surtout Luxembourgeois et leurs voisins allemands de l’Eifel, la procession dansante s'est progressivement ouverte aux ressortissants de la Grande Region, ainsi qu'aux nombreux immigrés, surtout portugais qui se sont installés dans la région d'Echternach depuis les années 1960.
Les pèlerins sont accompagnés par les sociétés de musique qui rythment le déroulement de la procession en jouant l’une après l’autre la mélodie (marche polka) très simple et bien connue de la procession .
Extraits de « Magno Tripudio - sur les pas de la procession dansante d'Echternach »
© 2008 MCESR (Ministère de la culture, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche)
Les organisateurs de la procession, les membres de l’association Oeuvre Saint Willibrord, sont responsables de la mise en rangs des participants (de quatre ou cinq personnes par rang). Ceux-ci se tiennent tous les uns les autres par des mouchoirs blancs. Chaque groupe de rangs est précédé par une société de musique qui rythme les pas sautés accomplis par les participants le long du parcours.
A. Lien entre processions banales et procession dansante d'Echternach
Les habitants de la région de l’Eifel et ceux de la région d’Echternach partagent des pratiques culturelles communes qui relèvent de la longue durée et sont bien antérieures aux frontières nationales actuelles. Dire que les formes et les diverses motivations des rassemblements à Echternach aient changé à travers le temps relève de l’évidence. Mais, les participants à la procession dansante actuelle viennent d'une aire géographique qui a connu, pendant des siècles, diverses pratiques de processions. Se pose la question du lien entre ces manifestations passées, les processions dites « banales » , avec la procession telle que nous la connaissons aujourd'hui.
La nature précise de ce lien ne relève pas de l'évidence, le renvoi aux processions banales peut expliquer l’âge de la procession d’Echternach, mais pas le fait qu’on y dansait.
En 1922, l’historien belge Ursmer Berlière a mis en évidence l’existence des processions banales en Angleterre, en Belgique, en Allemagne et en France. L’abbaye d’Echternach était loin d’être la seule abbaye bénéficiant de ces processions. Il compte, dans les régions proches d’Echternach, les abbayes bénédictines de Altmünster (Luxembourg actuel), de Saint-Hubert et Stavelot pour les Ardennes, de Prüm dans l’Eifel, de Taben et Mettlach près de la Saar et de Saint-Maximin à Trèves.
Ces processions obligatoires se dirigeaient annuellement vers les abbayes ou les chapitres. Il s’agissait de processions obligatoires à l’occasion desquelles les paroissiens ainsi que les habitants des paroisses filiales, devaient chaque année se rendre en procession à l’abbaye respective, en emportant la croix et la bannière. Ils étaient accompagnés par le prêtre de leur paroisse et devaient livrer une contribution, en argent et en nature, bien définie à l’abbaye. Ce n’était qu’après avoir accompli les contributions que la croix et la bannière étaient rendues aux paroissiens; cet échange était appelé « cruces solvere » «rachat des croix ». L’abbaye pour sa part offrait aux pèlerins une certaine quantité de pain et de vin. De chaque maison ou de chaque famille, au moins une personne adulte devait obligatoirement y prendre part.
Ces processions banales seraient antérieures au Xe siècle, pour Echternach, et vu la proximité géographique et la ressemblance avec les processions à Prüm, une origine commune leur est attribuée. La zone d’attraction actuelle de la procession dansante d’Echternach est superposable à celle concernée par les processions banales de Prüm et d’Echternach et l'existence des processions banales témoignent des relations de longue date réunissent les paroissiens vivant dans cette région.
La carte reprend tous les villages ayant participé aux processions banales qui se déroulaient à Echternach et représente toutes les paroisses qu’on a pu relever comme participant aux processions entre le XIIe et le XVe siècle. Les paroisses concernées se répartissent dans leur presque totalité sur trois anciennes doyennés de l’ancien évêché de Trèves : Remich et Mersch dans l’actuel Grand-Duché de Luxembourg et Kyllburg – Bitburg en Allemagne actuelle. L’ensemble des paroisses fait partie de l’ancien évêché de Trèves dont les limites correspondent à la cité romaine des Trévires (Trausch 1986:39). Cependant la ville de Trèves elle-même ne fera jamais partie du duché de Luxembourg et est en dehors de la région qui concerne les paroisses allant en procession à Prüm et Echternach.
En ce qui concerne Echternach, l’abbé Thiofrid, vers 1100, a écrit dans sa vita s. Willibrordi, qu’un grand nombre de pèlerins des régions voisines, accompagnés de leurs prêtres, se rendaient au tombeau de Willibrord pour accomplir leur obligation, coutume qui a été transmise par les ancêtres à la génération de son temps (Hansen 1969:29). Dans un registre de procession, tenu pendant le XIIe et XIIIe siècle, 141 paroisses sont reprises, lesquelles font un pèlerinage à Echternach dans la semaine de la Pentecôte.
Un autre registre, établi par l’abbé Bertels en 1603, indique bien que la procession obligatoire a toujours lieu aussi au Bas Moyen Age et au début des Temps Modernes. Ce registre précise comme seule date pour la procession le mardi après la Pentecôte et ne diffère guère du registre du XIIe et XIIIe siècle en ce qui concerne les paroisses astreintes au pèlerinage.
L’explication avancée par Oster et selon laquelle c’est à partir des époques des nombreuses pestes, de la dysenterie et de la danse de saint Guy (Billen, C. & R. Zeebroek 1994:53-62) au cours et à partir du XIIIe siècle, que les processions banales se seraient transformées en processions de requêtes et de remerciements, nécessiterait des recherches plus approfondies. Il y aurait un autre cas de figure, propre à la paroisse de Waxweiler et à ses filiales. En effet, les pèlerins de Waxweiler, appelés encore « Springenheilige », auraient introduit la danse dans les processions aussi bien à Prüm qu’à Echternach, suite à un vœu accompli en faveur de saint Willibrord.
Les « Springenheilige » seraient donc les premiers à danser aussi bien à Prüm qu’à Echternach. D’une part, le saint patron de Waxweiler est saint Jean Baptiste, saint en l’honneur duquel on danse à d’autres endroits, par exemple sur le « Johannesberg » près de Dudelange. D’autre part, comme saint Jean, Willlibrord était appelé à guérir des maladies spécifiques telles les handicaps du corps, les paralysies et les crises épileptiques (Schroeder 1999:340-343).
D’après Senninger, Waxweiler n’aurait jamais appartenu aux terres de l’abbaye d’Echternach et par conséquent, comme leur triple tribut annuel (céréales, cire et argent) se retrouve dans les registres administratifs, il conclut à un statut différent de cette procession. Ces pèlerins auraient accompli un vœu, une obligation de « caractère religieux ». Un document de 1587, accusant les pèlerins de Waxweiler de ne pas avoir accompli leur tribut annuel, précise qu’ils s’étaient obligés, confrontés à leur situation insupportable, à se rendre annuellement, lors des jours de la Pentecôte à l’abbaye de saint Willibrord pour y accomplir le triple tribut (Senninger 1957:30). Il s’avère important de noter que les gens de Waxweiler se rendent aussi bien à Echternach qu’à Prüm, deux endroits où on vénérait Willibrord.
Neyen, en 1880, parle d’un « sentiment religieux surajouté » : « Mais insensiblement, au cours des siècles, la réputation de sainteté de l’évêque d’Utrecht et abbé d’Echternach s’étant propagée au loin, un nombre de dévots, croissant d’année en année, est venu s’y adjoindre, cherchant, au moyen de prières et d’offrandes, à obtenir, par l’intermédiaire du Saint auprès de l’éternel, un soulagement à leurs maux physiques. Et ce fut là, sans doute, l’origine de l’ajoute d’un sens religieux faite au voyage ou pèlerinage primitif, qui avait été jusqu’alors essentiellement ou du moins en très grande partie exclusivement civil. Et ce but religieux, surajouté à l’institution, a même fini par absorber entièrement la signification première, qui avait uniquement consisté en la remise, avec le cérémoniel usité, d’un tribut déterminé pour chaque ménage, entre les mains d’un prélat, en échange de la concession d’exemptions de services attachés par la loi féodale au domaine temporel de cet abbé » (Neyen 1880:22).
A l’origine de la danse, il y aurait, selon Schroeder, des pratiques religieuses remontant à la période pré-chrétienne et ayant coexisté non sans s’entremêler et se confronter au clergé naissant ; en témoignent de nombreux interdits émis par le clergé contre les danses cultuelles notamment (Schroeder 1999:338-340).
Rendre compte des liens entre pèlerins, leurs motivations pour remettre le tribut et accomplir les processions et vouloir mettre en évidence, dans ce contexte, leur relation à la personne du saint est délicat. De plus, contexte historique et légendes semblent s’entremêler plus d’une fois dans les explications énoncées au sujet de la procession dansante.
Autour de la procession dansante s'est tissé tout un corpus de légendes. La plus connue, sans doute, est celle de Veit, le violoniste d'Echternach, légende dérivée de celle dite de Kölbigk:
La légende du violoniste d’Echternach
Un habitant d’Echternach du nom de Veit, accompagné de sa femme, avait fait un pèlerinage en Terre Sainte. Après dix ans il rentra sans sa femme. Elle avait été assassinée par les Sarrasins. Ses proches qui s’étaient entre-temps appropriés les biens de Veit, l’accusèrent de ce meurtre.
Veit fut condamné à la potence. Son dernier vœu - pouvoir jouer une ultime fois du violon - lui fut accordé.
La suite du déroulement est étroitement apparentée à la légende des danseurs de Kölbigk :
Veit s’empare de son violon et fit entendre des mélodies si attrayantes que la foule présente se mit à danser. Tous dansèrent jusqu’au soir. Même le bourreau et les chiens sortaient comme envoûtés. Mais les proches de Veit, sous le charme, dansèrent avec frénésie toute une année. Ils dansèrent sans manger ni boire et s’enfoncèrent dans la terre jusqu’aux genoux, jusqu’à ce qu’enfin saint Willibrord accourût d’Utrecht pour les délivrer de la danse ensorcelée (Schroeder 1988).
Les thèmes abordés dans ces légendes, comme la danse interdite dans la cour de l'église ou encore le thème de la punition qui consiste à être avalé par la terre sont à ranger parmi les grands thèmes mythiques (Smith Thompson 1933 et 1935).
Au-delà de « l’histoire » de l’élaboration et de la circulation des dites légendes existe le fond commun de la pensée mythique et en ceci, toutes les variantes se valent. Pour qu’un événement, une histoire, une narration, toujours singulière au départ, devienne un mythe, il faut que soit oubliée, effacée son origine individuelle pour devenir une histoire générale, exemplaire. Le temps évoqué dans une légende est un temps distant pour que celle-ci puisse se détacher de la réalité et devenir « métaphore de la réalité » (Bidou 1992).
A côté de la mise à distance temporelle, le mythe montre des actions en complète contradiction avec les lois de la nature et de la société. Le mythe expose une série de scandales logiques, physiques et moraux que le déroulement même du récit a pour but de traiter (Bidou 1992:499), tels les gens qui dansent toute une année sans boire ni manger ou encore les danses dans la cour de l’église et la désobéissance au prêtre.
Ces thèmes sont traités par le mythe en vue d’éviter le passage à l’acte de ces scandales dans la réalité. La danse serait ici un des comportements « logiques, physiques et moraux » manipulés en vue d’en présenter une forme adéquate, « morale » de la danse.
La légende de Kölbigk remonte à un extrait de la vie de saint Eloi du début du VIIIe siècle et qui raconte un miracle du même genre, ayant fait l’objet de nombreux ajouts, pour donner naissance à différentes versions. La forme « originale » daterait du XIe siècle et, sous ses versions diverses, elle sera reprise dans des recueils de prêches, de contes et de fables. Bien que la légende ait toujours été citée dans la littérature traitant de la procession dansante, elle ne fut jamais interprétée comme indice de l’existence de danses cultuelles à Echternach pendant le Haut Moyen Age.
La légende peut être interprétée comme étant le produit de la réaction au comportement « peu chrétien » qui aurait fait surface lors de ces pèlerinages, comme par exemple les danses dans la cour de l’église. La légende a été retrouvée dans de nombreux recueils de prêches (jusqu’au XIXe siècle) et ce produit littéraire, qui ne doit pas son apparition au hasard, serait une légende d’avertissement destiné à éviter un comportement intolérable dans le cadre d’un pèlerinage (Schroeder 1999:345).
Il y a les danseurs « sérieux » et les autres. Il y a une valorisation de la bonne manière de danser. Ce qui importe, à côté du respect du rythme donné par l’accompagnement musical, c’est la dignité avec laquelle il faut accomplir la danse. Sur la page du Luxemburger Wort (quotidien luxembourgeois), consacrée annuellement à la procession dansante, il est bien précisé qu’on attend des participants qu’ils dansent avec « gravité » et « dignité ». Les organisateurs invitent vivement les groupes à ne pas se laisser aller à des comportements inadéquats tels le bavardage lors de la danse, saluer les spectateurs ou faire signe avec les mouchoirs, quitter son rang ou s’introduire dans un rang. Il n’est pas apprécié que des boissons alcoolisées soient consommées durant la procession.
Les pèlerins allemands jouent un rôle important dans le déroulement de la procession. Ce sont eux par ailleurs qui, aujourd’hui, ont le privilège d’entamer la partie dansante de la procession, c’est-à-dire de suivre directement le reliquaire de saint Willibrord.
Chaque année les membres de l'oeuvre saint Willibrord traversent l’Echternacherbrück pour aller accueillir les pèlerins de Grossprüm et de Waxweiler qui se sont réunis en cours de route pour arriver ensemble devant le pont qu’ils traverseront, après les mots d’accueil, avec les habitants de l’autre côté du pont.
Le pont qui relie les habitants d’Echternach à ceux qui viennent de l’autre côté de la Sûre articule l’espace sacré du pèlerinage. Aujourd’hui encore ce pont est investi symboliquement, et on le traverse ensemble seulement après le sermon. Le pont est la dernière étape à franchir avant d’arriver au but du pèlerinage, au tombeau du saint et à la procession dansante en tant que telle.
Le pèlerin qui vient à Echternach est « autre » de deux manières : d’une part, il est étranger à lui-même dans le sens qu’il vit une expérience au-delà du quotidien et à la recherche de l’au-delà. Il transgresse des limites à tous les niveaux : limites géographiques, physiques à travers l’effort de la longue marche (pour ceux qui viennent à pied évidemment) et de la danse, ainsi que les limites de la transcendance. D’autre part, il acquiert une altérité de par la confrontation aux autres « groupes » de pèlerins et aux habitants d’Echternach même.Le pont « Echternacherbrück », étant depuis « toujours » selon la tradition orale, un passage à franchir avant d’accéder au lieu sacré, a cependant pu changer de portée symbolique à travers les circonstances historiques.
En effet, l’« autre » franchissant le pont en direction d’Echternach a aussi été l’ennemi des deux guerres. La Seconde Guerre Mondiale est encore présente dans les souvenirs et c’est le « Preis » qui a détruit la basilique en 1944.
Cependant, les Echternachois se sont chargés de trouver une solution pour que les pèlerins de l’Eifel puissent « passer le pont » directement après la fin de la guerre, seul lieu de passage qui leur fut accordé. Les Allemands nazis, ennemis de guerre, les Allemands de l’Eifel, voisins proches, l’« autre » est en tout cas nécessaire pour réaliser à plein titre la procession dansante.
Au-delà des différentes motivations des pèlerins, ainsi que des différents groupes présents, tous participent à un même rituel, dans un espace-temps limité. Et ce rituel n’est pas complet si les différentes composantes ne sont pas réunies et lui confèrent en quelque sorte sa force et son efficacité.
Face à une demande d’explicitation, les motivations individuelles de participation peuvent différer énormément ; une majorité de participants, surtout les membres des sociétés de musique et de leurs paroisses n'avancent pas de motifs particuliers : le mardi de la Pentecôte « on va jouer et danser à Echternach ». Les pèlerins de Prüm – Waxweiler, récitent tout le long de leur marche des prières et leur parcours est jalonné de visites d’églises.
Pour ces pèlerins « participer » à la procession implique un engagement incomparablement plus riche en énergie et en ferveur que celui de bon nombre d’autres « pèlerins ». Leur ferveur dans la prière et leur comportement religieux affiché est encore une caractéristique qui distingue ces pèlerins aux yeux de ceux qui les accueillent.
Beaucoup d’éléments sont constitutifs de la procession et lui dessinent son cadre. Il s’agit d’une collectivité qui se donne rendez-vous annuellement pour revivre l’événement sous une forme prescrite.
Chaque rituel a ses règles formelles, constitutives, ses éléments nécessaires. Tout rituel inclue toujours certains éléments que ces participants érigent au rang de conditions nécessaires (Boyer, 1997). Dans notre exemple, la date de la procession (le mardi de la Pentecôte), le lieu (la ville d’Echternach) ainsi que le concours de groupes venus des villages et villes des alentours (aussi bien au sein du grand-duché que au-delà des frontières), le pas de danse prescrit et la mélodie constitueraient les conditions élémentaires à la procession dansante.
A côté des ces règles formelles, il y a des éléments additionnels que les auteurs projètent sur les structures rituelles, sans qu’ils soient nécessaires au rituel, tels le sens et les motivations de participation au rituel. Ces intentions et hypothèses de participation des acteurs s'inscrivent dans une recherche spontanée d’hypothèses pertinentes lors de l’acte rituel plutôt que de dérouler d’un modèle culturel partagé. C'est pour cette raison que les conceptions individuelles du sens ou de la raison d’être du rituel sont le plus souvent imprécis et idiosyncrasiques (Boyer 1997:237).
En vue de saisir la procession dansante et les motivations de participation qui la sous-tendent, il est important de dissocier l’acte de croire et l’adhésion d’un individu à un ensemble d’énoncés se rapportant à l’acte : « aucun rituel ne suppose nécessairement, à travers son accomplissement, une attitude mentale en parfaite correspondance avec celui-ci, et encore moins une adhésion non problématique à une signification explicite ou implicite du rite » (Piette 1996:273).
Force est de constater que les éléments qui changent à travers le temps sont justement les éléments appartenant au registre du sens et des intentions attribués à la procession. En effet, que les pèlerins dansaient en vue d’effectuer un vœu auprès de saint Willibrord ou qu’ils effectuaient en tant que malades épileptiques (surtout au XIIIe siècle et au XIVe siècle) une danse thérapeutique en quête de guérison auprès du saint, que les participants viennent parce qu’ils sont venus toute leur vie avec leur famille ou en tant que membre de l’orchestre villageois, voilà autant de motivations différant dans le temps et entre individus. Le déroulement de la procession, appuyé sur ce que Boyer appelle les éléments constitutifs du rituel, varie peu dans le temps et réunit les individus et les groupes dans un mouvement réglementé et répété dans le temps.
Conclusion et bibliographie
La procession dansante mobilise une collectivité dont la participation « fait » le rituel. Les motivations de participation ne peuvent pas être réduites aux seules motivations religieuses . Des processions civiles au Haut Moyen Âge aux processions religieuses ensuite, la procession est aujourd'hui associée au patrimoine religieux et populaire national et est devenu événement touristique et identitaire pour la ville d'Echternach et, sur le plan international, pour le Luxembourg .
Au-delà de ces motivations multiples de participation à la procession et des discours et récits divers la racontant, pèlerins, participants divers et spectateurs continuent à se réunir tous les mardi de la Pentecôte en s'inscrivant dans un déroulement précis, suivant un rythme et une ambiance sonore qui lui sont propres et qui fondent la transmission de cette pratique culturelle partagée au-delà des frontières nationales actuelles.
BECKER, T., Springprozession, in Erinnerungsorte in Luxemburg 2, éd. Saint-Paul, Luxembourg, 2012, pp. 235-240.
Bidou, P., Nature du mythe , in : Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris 1992.
BILLEN, C. et ZEEBROEK, R., 1994, Expansion et recul de céréales cultivées dans la longue durée, in : Vie de pain, faire, penser et dire le pain en Europe, Bruxelles, pp. 53-62.
BOYER, P., 1997, La religion comme phénomène naturel, Paris : Bayard.
DUPRONT, A., 1987, Du Sacré, Croisades et pèlerinages, Images et langages. Paris : Gallimard.
HANSEN, N., 1969, Etude sur la danse liturgique d’après l’exemple de la procession dansante d’Echternach, Trèves.
HERSKOVITS, 1943, cité in : ROUGET, G., La musique et la transe, Paris 1990, p. 327.
IZARD, M., 1991, Culture, in Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, eds. P. Bonte & M. Izard, Paris : Presses Universitaires de France, pp. 190-192.
Kauthen, P., 1989, La procession dansante dans la 1re moitié du 20e siècle, in Willibrord, éds., G. Kiesel & J. Schroeder, Luxembourg : Imprimerie Saint-Paul, pp. 251-263.
KIESEL, G., 1969, Der heilige Willibrord im Zeugnis der bildenden Kunst, Luxembourg : Ministère des Arts et des Sciences.
LANGINI, A., 1977, La procession dansante d’Echternach, Echternach : Société d’Embellissement et de Tourisme.
KYLL, N., 1962, Pflichtprozessionen und Bannfahrten im westlichen Teil des alten Erzbistums Trier, Bonn, pp. 43-55.
NEYEN, A., De l’origine et du but véritable de la Procession dansante d’Echternach, in Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, 1880, XV, pp.223-297.
PIETTE, A., 1996. Les hommes et leurs croyances., in VOYE, L. (éd), Figures des dieux. Rites et mouvements religieux. Paris-Bruxelles : De Boeck, pp. 271-285.
Schroeder, J., 1988, Zur Frage frühmittelalterlicher Kulttänze am Grabe Willibrords in Echternach, in Willibrord, éds., G. Kiesel & J. Schroeder, Luxembourg : Imprimerie Saint-Paul, pp. 186-193.
SCHROEDER, J., 1988, Zur Herkunft der älteren Fassung der Tanzlegende von Kölbigk, in BORGOLTE, M., SPILLING, H. (éds.), Litterae Medii Aevi, Recueil de mélanges Johanne Autenrieth, Sigmaringen, pp. 183-189.
SCHROEDER, J., 1999, Vom Ursprung der Springprozession , in Die Abtei Echternach 698 - 1998, Luxembourg, pp. 335-352 .
Senninger, L., 1957, Die "springenden Heiligen", Ein Beitrag zur Geschichte der Wallfahrten nach Echternach und Prüm , in : Hémecht 1, p.26.
Thompson, S., 1932, Motif-Index of Folk-Litterature, A classification of narrative elements in folk-tales, ballads, myths, fables, mediaeval romances, exempla, fabliaux, jest-books, and local legends, Vol. I., Helsinki : Academia Scientiarum Fennica.
Thompson, S., 1933, Motif-Index of Folk-Litterature, A classification of narrative elements in folk-tales, ballads, myths, fables, mediaeval romances, exempla, fabliaux, jest-books, and local legends, Vol. II. , Helsinki : Academia Scientiarum Fennica.
Thompson, S., 1935, Motif-Index of Folk-Litterature, A classification of narrative elements in folk-tales, ballads, myths, fables, mediaeval romances, exempla, fabliaux, jest-books, and local legends, Vol. V., Helsinki : Academia Scientiarum Fennica.
TRAUFFLER, Henri, 1999, Von der Villa Epternacus zur Abteistadt , in Die Abtei Echternach 698 – 1998, Luxembourg, p.252.
TRAUSCH, G., 1986, Le Luxembourg sous l’Ancien Régime, Manuel d’histoire luxembourgeoise, III, Luxembourg, p.51.
Vogler, G., 1997, Echternacher Springprozession in Geschichte und Gegenwart in Choreae 3 , pp.182-207.
Videoquellen
- « Les danseurs d’Echternach » (1947). Réal. Evy Friedrich / Prod. Société nationale du Film luxembourgeois / Archives : Centre national de l’audiovisuel (CNA)